Quelles sont les différences entre le marché canadien et le marché américain? Voici un article très intéressant de M. Benjamin Tal, économiste en chef adjoint de la CIBC, qui compare la crise É.-U. avec les baisses que nous vivons au Canada présentement :
Le marché canadien
Toronto — Le Canada n’est pas sur le point de voir son secteur immobilier s’effondrer comme ce fut le cas aux États-Unis, peut-on lire dans un nouveau rapport de Marchés mondiaux CIBC.
Bien que de nombreux facteurs puissent soulever de l’inquiétude en ce qui a trait au marché de l’habitation au Canada, écrit l’auteur du rapport, il existe des différences fondamentales entre le marché canadien et américain; et elles feraient en sorte que notre marché connaîtrait un atterrissage en douceur.
«Le prix des maisons au Canada chutera probablement d’ici un an ou deux, mais toute comparaison avec l’état du marché américain en 2006 révèle une profonde incompréhension du fonctionnement du crédit d’avant la crise aux États-Unis et sur le marché canadien actuel», affirme Benjamin Tal, économiste en chef adjoint à la Banque CIBC.
Bien que le rapport dette-revenu au Canada vienne tout juste de fracasser le record américain établi en 2006, l’auteur note que «ce rapport est plus matière à manchettes qu’un outil d’analyse sérieux. La liste est longue des pays où le rapport dette-revenu est comparativement plus élevé et qui n’ont rien connu de comparable, même de loin, à ce qu’ont récemment connu les États-Unis.»
M. Tal affirme qu’on devrait plutôt s’intéresser à la rapidité avec laquelle le rapport dette-revenu s’accroît. «Ici, les choses semblent un peu moins inquiétantes. Si l’on compare les trois années ayant précédé la crise aux États-Unis aux trois dernières années au Canada, on voit que le rapport dette-revenu au Canada augmente deux fois moins vite qu’il ne le faisait sur le marché américain d’avant la crise.»
La forte croissance de l’endettement aux États-Unis a été partiellement alimentée par la spéculation sur le marché de l’habitation, phénomène beaucoup moins répandu sur le marché canadien. Au cours des dix années ayant précédé la crise aux États-Unis, le nombre de mises en chantier était supérieur de près de 80 % à celui de la formation de ménages. En moyenne, au cours des dix dernières années, cet écart au Canada n’a été que de 10 %, et la plus grande part de cet excédent a été vue dans des villes comme Toronto et Vancouver.
La qualité des hypothèques représente une autre différence importante entre le Canada et les États-Unis. La répartition des pointages de crédit n’a pas été sensiblement modifiée au Canada au cours des quatre dernières années, ce qui n’a pas du tout été le cas aux États-Unis pendant les quatre années qui avaient précédé la récession. Là-bas, la part de la catégorie à risque avait augmenté de plus de 10 points de pourcentage et comptait pour 22 % de l’ensemble du marché.
Mais le pointage de crédit n’explique pas tout, souligne M. Tal. Il note qu’un grand nombre de prêts hypothécaires douteux aux États-Unis ont été vendus à des emprunteurs dont le pointage de crédit était acceptable; mais qui ne répondaient pas aux règles d’évaluation pour des prêts à taux préférentiel parce qu’ils ne pouvaient ou ne voulaient pas fournir toute la documentation avec leur demande de prêt. En 2006, ces prêts hypothécaires à taux non préférentiel représentaient pas moins de 33 % des nouveaux prêts accordés et presque 20 % des prêts hypothécaires en cours.
«L’avoir net du tiers des emprunteurs hypothécaires en 2005 et 2006, soit avant la chute des prix, était négatif, ce qui est stupéfiant, et celui de pas moins de la moitié des emprunteurs était inférieur à 5 %, ce qui les exposait fortement à la moindre baisse des prix», ajoute M. Tal. «Au Canada, il n’y a pas d’emprunteur hypothécaire dont l’avoir net est négatif, et seuls entre 15 et 20 % des nouveaux emprunteurs ont un avoir net équivalant à moins de 15 %. En outre, nous pensons que la part du marché canadien non conforme aux normes habituelles se situe actuellement autour de 7 % des prêts hypothécaires en cours, en hausse comparativement à 5 % en 2005, mais de beaucoup inférieurs au plus de 20 % aux États-Unis à la veille de la crise.»
On lit aussi dans le rapport que, fondamentalement, la crise américaine est l’histoire de la non-conformité aux normes habituelles. Le prix moyen des maisons dans les villes où le nombre de prêts non conformes aux normes habituelles était supérieur à la moyenne a chuté de 40 % par rapport au sommet de juin 2006; soit deux fois plus que dans les villes où le nombre de ces prêts était inférieur à la moyenne. «Éliminez les prêts à risque du marché de l’habitation aux États-Unis, et plutôt que d’assister à l’effondrement le plus grave du prix des maisons depuis la grande dépression, on obtient plutôt un atterrissage en douceur», affirme M. Tal.
Aux États-Unis, un prêt hypothécaire courait généralement sur 30 ans, tandis qu’au Canada la norme était plutôt l’octroi de prêts à terme de 5 ans. Traditionnellement, ce type de prêt rendait les emprunteurs canadiens plus vulnérables aux augmentations des taux d’intérêt. Aujourd’hui, au Canada, les emprunteurs réduisent leur vulnérabilité aux taux en contractant beaucoup moins de nouveaux prêts à taux variable, tendance forte qui se vérifie depuis plusieurs années (surtout dans le secteur des prêts plus risqués).
«Avant la crise, le contraire était vrai aux États-Unis : la part des prêts hypothécaires à taux variable restant élevé jusqu’à la fin. En effet, pas moins de 80 % des nouveaux prêts non conformes aux normes habituelles étaient à taux variable», ajoute-t-il. «Et cette gymnastique hypothécaire ne s’est pas arrêtée là. L’apparition du taux d’appel, faible taux de lancement offert pour une période de deux ou de trois ans et qui augmenterait à la fin de la période initiale, a en fait neutralisé la politique monétaire américaine.
Il remarque qu’entre le milieu de 2004 et le milieu de 2006, le taux des fonds fédéraux avait grimpé de plus de 400 points de base; mais, en partie à cause du taux de lancement, le taux hypothécaire effectif n’avait augmenté que de 30 points de base. Il s’ensuit concrètement que lorsque la période couverte par le taux de lancement prenait fin, des millions d’Américains ont senti, pratiquement du jour au lendemain, l’impact réel de l’équivalent de deux années de resserrement monétaire.
“La renégociation de 2 billions de dollars de dette hypothécaire en 2006 et 2007 a sans doute déclenché la crise du secteur de l’habitation aux États-Unis. Un tel déclencheur potentiel n’existe pas au Canada, où les taux hypothécaires augmenteront probablement de façon graduelle, ce qui permettra aux emprunteurs de s’ajuster avec le temps.”
M. Tal remarque toutefois que tout n’est pas rose sur le marché canadien de l’habitation. Le prix des maisons dépasse les fondamentaux du secteur, surtout dans de grandes villes comme Toronto et Vancouver, et le ralentissement des ventes sera probablement suivi par un rajustement des prix dans de nombreuses villes du pays.
“Mais le Canada d’aujourd’hui est très différent des États-Unis d’avant la récession, du moins en ce qui concerne le profil des emprunteurs. Par conséquent, pour ce qui est de la crainte de voir le Canada connaître une crise comme celle qui a secoué les États-Unis, la seule chose que nous ayons à craindre est la crainte elle-même.”
En outre, le marché canadien se porte beaucoup mieux que celui de nos voisins d’en bas. Si vous avez envie d’en lire plus sur le marché immobilier, notre article sur le marché à Montréal saura satisfaire vos recherches!
Ghislain Larochelle